• "Je"

    "Je" hait cette mission

    "Je" hait la neige

    "Je" n'est que colère depuis son arrivée dans ce trou perdu

    pas même un bar !

     

    Il sait que sa fin est proche.

    Qu'importe,

    rester droit.

    Dans la cheminée, brulent les mots amis et les photos jaunies.

     

    Hier encore, "Je" était l'exemple à suivre dans son service.

    Il avait suffit d'un faux pas,

    un seul,

    si petit

    et voilà "Je"/ ici/ autant dire nulle part/ pour un travail répugnant.

     

    Dans la maison, "Je" est étonnée par la douce chaleur.

    Tout semble pourtant vieux et rudimentaire.

    "Je" laisse au fond de sa valise la tablette, car ici pas d'internet.

     

    Depuis longtemps il a expédié loin d'ici ses manuscrits,

    ses documentations,

    tous les livres interdits,

    les poèmes et

    les correspondances des amis.

    Il ne restait que les lettres d'amour et les photos de jeunesse,

    en cendres maintenant.

    Il attend.

     

    Ce matin "Je" a enfilé sa tenue de travail.

    "Je" a identifié la cible N°82.

     

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    Yvette Aroca-Lehre. Octobre 2020

    Atelier d'écriture animé par Irvi à Lanvéoc.

    Inspiration : "les vies minuscules, peinture" de Pierre Michon et "Exactement là" de Jasmine Viguier, et sous les contraintes photographiques et autres données par Irvi !

    Collage sur carton associé au texte.

     

     

     

     

     


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  • un grand merci à Florence Robert, pour sa bienveillance et son aide 

     

     

    « Or que le vent discret fait chuchoter les chênes 

    Et que le soleil soûle, aux clairières prochaines, 

    Vipères et lézards endormis dans le thym, 

    Couché sur le sol sec, je pense au temps lointain. »

    extrait de «  Le coffret de Santal » Charles Cros 

     

     

     


     

     Pierre - muette espionne -

     mémoire du gouffre du temps,

                     attend sous la lune.

     

     

     

     

    C’est son pays et celui de ses ancêtres.

    Un pays de cailloux et de garrigues.

     

    Un rien qui vaille.

     

    Sauf pour ceux qui apprennent à le lire dans les feuillets du schiste,

    il est de ceux-là.

    Vivre et travailler au pays, cela avait un sens pour lui. 

    Un combat même.

    Mais depuis ce matin de janvier où dans la brume hivernale il l’avait  vue pour la première fois, l’amertume l’habitait un peu plus chaque jour.

     

    Pour l’évaluer, la comprendre, il était revenu encore et encore ..

    Maintenant, elle avait chamboulé sa vie.

    Comme une lèvre dans la pierre grise, la faille lui souriait moqueuse.

     

    Aujourd’hui c’est un jour sans pluie. Il faut le noter car le début de printemps a été gris.

    Gris pâle, gris souris, gris tombal.

    Les nuages s’étaient donné le mot pour rester agglutinés, bouffis, grimaçant sur toutes les crêtes.

    Monstres mutant, ils avaient comme un seul homme pissé la pluie, sans retenue, des jours entiers.

     

    Demain sera jour de fête, tous les habitants du village descendront à la rivière.

     

    Ils pêcheront les écrevisses - ils connaissent tous les coins.

    Sur le schiste mauve, les pique-niques seront partagés.

    Les vieilles femmes iront par le chemin cueillir le thym et la menthe.

    Les plus jeunes, tout éclaboussés d’eau claire et de rires, captureront des têtards ou feront des batailles d’eau..

     

    Les filles s’éloigneront sur l’îlot, 

    et dans le parfum des genêts parleront d’histoires de filles comme toujours..

     

     

     Cils au noir rimmel

     regards d’amours éphémères,

     le coquelicot

     

    Mais pour l’instant, il part.

    Il part pour se consoler, ou s’enivrer et ne plus y penser.

     

    Dans le hameau encore ensommeillé, seuls ses pas résonnent sur la petite route.

    Après la forge, il prend le chemin qui mène à la chapelle.

     

    Chemin bleu de schiste

     

    Il marche d’un bon pas.

    Maintenant, ses muscles sont chauds.

    Il aime cette heure où le soleil est encore doux - tout en caresses.

    Il ne porte pas son regard trop loin, juste devant lui pour assurer ses pas.

    il ne se lasse pas des coquelicots,

    Leurs jupes de crépon rouge se balancent au vent, tanguent et se courbent avec sensualité.

     

    Attentif,  il écoute :

    Les bruissements du maquis,

    les trilles, les gazouillis,

    les berceuses et les contes qui se murmurent, se transmettent par les rus et les sources, depuis la nuit des temps.

    le coucou qui répond à l’église,

    et déjà il distingue le sifflement des éoliennes.

     

    Au loin, quelqu’un fredonne une ancienne ritournelle,

    un chant parmi les chants.

     

    Les battements de son coeur rythment sa marche.

    Tout s’assemble en harmonie et le hisse vers la crête.

     

     

        Sous ses pas,

     dans la sente entre les cystes,

     chanson de pierres.

     


     

    La chapelle est à l’abri sous son armée de roches grises hérissées d’éoliennes.

     

    Moulins sans grain.

     

    Il grimpe vers elles. Au sommet, pour lui seul, 

    sous ses yeux : la part du roi. 

    Pour lui seul la beauté de son pays aux premières heures du jour.

     

    Son pays tout plissé, tout ridé,

    Sa caillasse chauffée à blanc quand sonne midi,

    Aussi cette colline boisée, un seul feuillage ou un millier…un feuillage qui bruisse, murmure, crisse et craque.

    Un feuillage qui siffle ou ulule 

    Vers l’ouest, un rang de pierres blanches traverse le versant, le mont aux dents de loups - trophées de la sorcière de Ségure.

    Du côté de chez Robert, il entend le berger appeler son troupeau.

    Un petit toit rouge avec un filet de fumée : c’est chez Géraldine, presque centenaire, accrochée à son coteau.

    Vers le sud, les vignes et leur promesses de fêtes.

     

    Ici, il aime les pierres et les gens.

    Ici, tout vit vaillamment.

    Ici s’apprend dans la lenteur.

     

    De l’infinitésimal aux grands espaces des aigles, beauté comme bonté.

    Encore, mais pour combien de temps ?

     

     

    Il tremble de peur, de rage, 

    il tremble et n’arrive plus à pleurer,

    car il sait et n’y peut rien. 

     

    Plus rien.

     

    Car cela arrivera.

     

    La faille est là, béante qui attend son heure.

     

    Mais ce jour là, il ne sera plus de ce monde depuis longtemps.

    Des années ou un siècle.

    Il le sait.

     

    Pourtant, après demain, après la fête,

    il reprendra son poste de travail, ici au pays,

    et enfouira ces barils de déchets nucléaires.

     

     

     

     

     

    Yvette Aroca-Lehre

    Juin 2d018.

    Hameau de Segure, Tuchan, Corbières. France

     

     

     

     


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  • morceau choisi - et complété - suite à l'atelier d'écriture animé par Annaig Huelvan le 20 aout 2015

     

    Retour de vacances 

     

    Septembre est installé. Huit jours que les vacances sont finies. Huit jours. Il m'a fallu huit jours pour m'en remettre ! 

    Rando itinérante avec ce groupe hétéroclite et j'avais failli finir aux urgences psychiatriques...

    J'avais accepté de partir avec eux pour ne pas avoir l'air trop con à la rentrée, quand à la cafétéria la question me serait posée : et toi, tu as fait quoi cet été ?

    Depuis trois ans je réponds : rien de spécial, je reste ici.

    En fait, ce n'est pas tout à fait cela, mais comment leur dire ?

    je me promène 

    ou je reste assis sur le bord du chemin

    le soir sur la terrasse je regarde les étoiles filantes

    j'écoute le vent

    je parle aux oiseaux

    je goûte la brise du matin et déguste le soleil couchant

    je rêve et je lis

    j'écris des mots de rien que me chuchote la lune

    des mots de rien que la poussière dans le soleil dépose sur la page

    des mots qui volent par dessus les toits 

    … 

    mais comment leur dire ?

    Alors l'an prochain, je dirai seulement : moi ? comme d'hab, je n'ai rien fait.

     

     

     

     


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  •  

    Henri était prêt.

    Il avait enfin cédé à ses filles.

    Depuis des mois qu'elles le harcelaient pour qu'il aille en maison de retraite, le jour était enfin arrivé.

     

    Durant la semaine, toute la famille était venue ranger, vider, empaqueter.

    De sa petite maison, peu de chose à garder. Un seul carton contenait ses souvenirs : les photos, quelques cartes postales, le livre de chevet de Marceline son épouse qui l'avait quitté l'année passée. Le reste, il s'en fichait. 

    Quand il avait fallu vider son atelier, le chagrin l'avait envahi. Bien sûr, il n'exerçait plus son métier de vitrier depuis longtemps déjà. Mais il avait gardé ses outils, l'établi, des vitrages jamais posés.

    Il aimait s'y rendre tous les matins, comme si… 

    Maintenant, la pièce était vide, pourtant il y flottait encore l'odeur du mastic.

     

    Henri était prêt depuis l'aube.

    Il avait enfilé son costume du dimanche.

    Sa fille ainée ne viendrait le chercher qu'à dix heures, alors il décida de faire ses adieux au quartier.

     

    Il descendit la rue jusqu'au "Café des Sports". La fenêtre de la salle du fond, il la connaissait bien ! Il ne pouvait compter le nombre de fois où il avait du changer la vitre après les bagarres du samedi soir. Un grand carreau de verre martelé, dieu qu'il était lourd !

    Quand il avait fini, le patron lui servait un verre de vin et trinquait avec lui en bougonnant "j'espère que c'est la dernière fois que je t'appelle !"

    Le bistrot était fermé, un grand panneau "A vendre" plaqué sur la porte. 

     

    Henri tourna à droite dans la venelle du Poilu, la grande maison bourgeoise du Docteur Philipon avait toujours autant d'allure.

    Au dessus de la porte d'entrée, un oeil de boeuf éclairait la volée d'escalier. Quand les enfants Philipon avait cassé la vitre en jouant au ballon, Henri était  venu pour estimer le travail. 

    Pas facile avait -il dit, il faut l'échelle, mais dans l'escalier .. comment faire ? 

    Mme Philipon avait eu peur qu'il ne revienne pas, alors elle l'avait invité à prendre un café, lui avait même coupé une part de gâteau aux noix prévu pour le goûter de l'après midi, lui avait assuré qu'elle paierait tous les suppléments ..

    Ce souvenir le fit sourire. Mme Philipon n'aurait jamais supporté qu'on la soupçonne de ne pas entretenir sa maison, elle avait un rang à tenir ! 

     

    La venelle débouchait sur l'avenue Clemenceau.

    Au numéro 24, il y avait une fenêtre que de toute sa vie il n'avait jamais vu fermée  : celle de Mme Martineau, concierge de son état.

    Tout le monde s'y arrêtait, bon gré mal gré, une fenêtre à confidences, une fenêtre à commérages, une fenêtre à papotages..

     

    Tranquillement, il s'était dirigé vers la place du marché. Aucun étal à cette heure matinale.

    A la vue du bow-window sur la façade de la maison du buraliste, Henri se mit à rire.

    Quelle aventure ! Sa cliente avait voulu créer cette fenêtre originale pour la contrée et rien ne pouvait l'en dissuader. Après maintes discussions  avec le mari, Henri avait réussi à leur trouver un terrain d'entente. Le bow-window n'aurait pas de fenêtres à guillotines, il serait plus sobre que dans les plans de madame . Marché conclu.

    Après les travaux, monsieur était bien fier, personne n'avait une vue aussi belle sur les grands arbres de la place.

     

     

    En remontant vers le jardin des plantes, il s'arrêta face à l'immeuble du Parisien. Les habitants du quartier l'avaient surnommé comme cela , la rumeur disait que le propriétaire  demeurait à Paris mais les locataires ne l'avaient jamais vu. 

    Henri leva la tête pour voir le dernier étage.

    La dernière tabatière sur la droite, c'était bien cela ..

    La chambre de bonne de Marceline.

    Il l'avait rencontré au bal du 14 juillet, puis pendant plusieurs mois ils se retrouvaient le dimanche pour d'autres bals, ou des promenades le long du canal. 

    La neige de février avait donné à Marceline un bon prétexte pour l'inviter à prendre un café chaud dans sa chambre sous les toits. 

    Après l'amour, Ils avaient inventé un jeu. Allongés sur le lit, chacun son tour imaginait une histoire en regardant les nuages à travers le vasistas. 

    Marceline gagnait toujours.

    De cette lucarne, ils regardaient les toits de la ville, bâtissaient leur projet, imaginaient leur maison.

    Marceline rêvait d'une maison toute blanche avec de grandes fenêtres à petits bois, et même - quel luxe- une porte fenêtre donnant sur le jardin ! 

    Leur lucarne .. une bouffée d'émotions lui brouilla le regard. 

     

    Il était revenu chez lui. 

    Il ferma tous les volets, tira la grille devant la baie vitrée de l'atelier, et sortit attendre  sur le perron. 

    Sa fille le trouva assis devant la porte, il regardait les nuages en parlant tout seul .. 

     

    Nous avons vraiment pris la bonne décision, pensa -t-elle. 

     

     

     

     

     

     

     

     


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  • Vite, vite ! je vais encore être en retard ! 
    Il est temps de sortir du bain. 
    Pourtant, je m’y prélassais comme Cléopatre, 
    oui enfin sauf que moi je n’ai ni lait d’ânesse , ni esclaves ..

    Alors, il va falloir que je cesse de bayer aux corneilles, et que je me presse.

    Ce matin, j’ai rendez vous. 
    Cette grande seringue de Claudia n’a rien trouvé de mieux que de m’inviter à l’inauguration de la fête de la citrouille !

    Une manifestation annuelle organisée par son club caritatif 
    je n’ai pas osé dire non, comme d’habitude ! Dire que ce club me sort par les yeux.

    Le drap de bain est rugueux, encore oublié de mettre de l’assouplissant. 
    Le choix de la tenue, encore un casse tête .. je n’ai pas la garde robe adéquate.

    Car n’ imaginez pas que ce club rassemble de vieilles bigotes aux cheveux bleutés savamment boudinés par des bigoudis.

    Oh ! non !

    Aujourd’hui visages bronzés – escapade au Seychelles, vous devriez essayer, c’est divin - liftés peut être, accessoires de marques et portables high tech.

    Entre deux petits fours au saumon, on se félicite mutuellement de la réussite de la journée au profit des défavorisés.

    Le mot gueux n’a plus cours, seul reste le zeste de condescendance au bord des lèvres botoxisées.

    Telle une gourde, les bras chargés de deux potimarrons, je déambule dans cette foule, aussi perdue que le petit chaperon rouge dans la forêt équatoriale.

    Allumer la queue de ces cucurbitacés ronds comme les bombes de dessin animé, 
    et rêver de carnage ...

     

     

     

     

     

     


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