• Quai des écrits - la journée

    Quai des écrits - la journée 

    Avant propos

    Sous le soleil fragile de mai, la voie express chante sa partition du dimanche, légère.

    A cette heure, les rares voitures se mettent au diapason. Circulation fluide, presque sans bruit.

    Ce parcours je le connais par cœur. En fait, je connais surtout son macadam, le bruit aux changements de revêtements, les dos d’âne, les courbes, le moment où il me faut accélérer pour monter la côte après le pont sur la Douphine, le mystérieux parking de Pont de Buis Les Quimerc’h, les lignes, les rails et les radars.

    Pour une fois je regarde le paysage, les arbres en fleurs et les couleurs du ciel.

    Ma route prend un air d’école buissonnière.

    Les autres conducteurs ont-ils le même sentiment ?

     

    Au creux du vallon,

    La Douphine dort encore

    Matin embrumé.


    Au bout de la rue de Brest, les flèches de la cathédrale de Quimper se dressent comme deux mats pour m’indiquer la route vers le Quai des Ecrits.

    Aux abords de l’Odet, une agitation surprenante, toute en couleurs de printemps, le marché aux fleurs s’installe face au rempart du jardin de l’évêché.

    Un brouhaha bariolé.

    Graines, semis, tendres pousses..

    Les amateurs de plantes viendront ils découvrir nos petits grains de haïkus ? Nous semons aussi.

    A la volée, nous éparpillons nos mots, sans désir de racines ils frôlent les passants, éphémères papillons.

     

    L’employé municipal, au gilet fluo, m’ouvre la barrière.

    Belle plante.

    ***

    Acte I

     

    Garée tout près du porche, parfait !

    C’était sans compter sur l’optimisme débordant de notre cher Alain.

    Le Quai des écrits avait sans doute revêtu dans sa tête une renommée internationale.

    Aussi, prévoyant et méticuleux, il m’avait préparé deux monstrueuses valises remplies de livres.

    Imaginez le poids. Pas de souci ! les valises modernes sont munies de poignées rétractables et de roulettes … enfin, jusqu’à la première marche (toute petite) .. la poignée a refusé tout net de tirer une telle masse tout à fait hors normes syndicales ; elle a craché ses vis, a saboté ses guides..

    Bien, peu importe, le stand n’est pas loin.

    Mais où est-il ce stand ?

    Dans l’urgence, l’équipe des monteurs s’affairent à dresser les barnums.

    Il faut attendre. Je mets les valises récalcitrantes au coin (Qui commande ?), et je pars à la recherche d’un café.

    Quimper, petite cité aux allures de vieille bourgeoise, respecte la pause dominicale. Pas de commerces ouverts, les bistrots rideaux baissés. Dans les ruelles pavées, les façades aux colombages toisent les quelques passants d’un regard fier.

    Seule animation, sur le parvis de la cathédrale,

    Robes d’église et uniformes de marine en grande conversation,

     

    Je me sens ailleurs.

     

    L’Odet charrie une eau boueuse.

     

    Retour au jardin, les barnums sont montés et je dispose les livres – un beau panel !

    Affluence en fin de matinée et début d’après midi.

    Cette année, étonnamment, ils connaissent le haïku.

    Ventes faciles dans la bonne humeur.

    Un livre se démarque. « La sente aux coquelicots. »

    Ouvert en milieu d’étal, son merveilleux rouge attire le regard.

     

     

    Acte II

     

    Finistère, le pays aux quatre saisons dans la même journée.

    Météo pochette surprise.

     

    Première bourrasque, le toit du barnum se gonfle, les poteaux tombent. Chacun se rue pour maintenir le tout, on rit.

    Puis, les rafales se succèdent. Les techniciens lestent le tout comme ils le peuvent. Ils leur manquent des cordes… ils improvisent.

     

    Aucune attache au sol n’est prévue pour cause de lieu historique protégé.

    Le sol est en terre battue, avec une herbe grasse que l’on ne peut qualifier de pelouse.

    Cette terre en a vu d’autres ! Sans doute une règlementation sortie du quatrième sous sol, porte de droite, guichet 666 ouvert de 9h à 11h46 et de 13h 21 à 16h02, d’une administration autiste.

     

    On rit moins.

     

    Viennent alors les trombes d’eau. Les visiteurs piégés se réfugient sous nos tentes – une vieille dame échappe de justesse au poteau-assommeur.

    Les autres, ceux qui avaient peut être eu l’idée de venir, ferment leurs fenêtres et restent au chaud.

     

    Nous avons froid.

    Quelques rires jaunes.

     

    Dans l’attente d’une éclaircie, comme m’y invite Annick Dandeville, j’emprunte la « sente aux coquelicots » :

    « Toi et moi, prenons

    La sente aux coquelicots.

    Allons chez Léo… »

     

    Annick Dandeville

     

     

    Et tout s’éclaire alors. Devant moi

    Le blond des blés

    Le rouge passion.

    L’éphémère

    La sensualité

    Jusque aux mauves tragédies

    La Vie

     

     

    Merci Annick

     

     

    Acte III

     

    Annonce officielle au micro crachotant, il nous faut prévoir le repli à 17 heures.

    Autant vous le dire, sur les visages de mes co-locataires du barnum sauvage – et sur le mien, on peut lire du soulagement…

     

    Rangement, certains livres ont gouté à la pluie.

    Première navette vers la voiture.

     

    Au dernier voyage, je m’octroie une pause en terrasse d’un établissement miraculeusement ouvert.

    Le soleil facétieux est revenu.

     

    S’arrêtent devant moi un homme un peu éméché et son acolyte les bras chargés de canettes de bière.

    Il rit de bon cœur et me demande : « vous l’avez fait exprès ? »

     

    Je reste bouche bée. De quoi veut-il parler ?

     

    Il rit de plus belle devant ma mine ahurie, et s’explique : «  vous êtes en harmonie parfaite avec le décor !  C’est super ! tiens, je vous fais la bise !» Sans attendre ma réponse, me voilà bisoutée sur la joue droite.

    Je réalise que je porte un ensemble vert pistache, je bois un café dans une tasse vert pistache, je suis assise sur une chaise vert pistache, et le auvent est vert pistache.

     

    Fou rire.

     

     

     

    Quimper, le Quai des Ecrits édition 2011.

    Yvette

     

     

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