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    Madeleine regarde par la fenêtre comme on regarde un train sur le quai des départs.

    En ce matin grisaille, le dimanche susurre sa lenteur monochrome.

    La ville est immobile.

    Engourdie.

    «  Et ce soir ? Mais tu rêves Madeleine ! Qu’en dis- tu pour ce soir ?  »

    «  C’est parfait, bien sûr, chéri »

     

    Trop tard !  Le dernier wagon n’est plus qu’un point minuscule au dessus des toits.

    Demain, peut être.

    Ou un autre jour.

    Madeleine le sait, elle posera le pied sur un nuage et s’engouffrera dans le premier train venu en partance pour nulle part.

     

    De petits riens en pas grand-chose, la journée se faufile entre les cils de Madeleine, un déroulé sans saveur.

    Sur la nappe fleurie se dessinent des ailleurs épicés de gingembre.
    A petits pas, Madeleine s’y infiltre et se met à danser.

    Une valse à trois temps autour du verre de cristal, une salsa enfiévrée face au flacon de Tabasco, folle farandole entre les assiettes des invités………

    « Avez-vous un votre M@cbook, Madeleine ?, c’est vraiment hyper cool vous savez »


    Hyper cool, que veut elle dire ? Au fond, Madeleine s’en moque.

    Tout en répondant évasivement, elle songe aux vents du sud chargés du sable du désert, aux mangues sensuelles, aux parfums d’orangeraies.

    Proposer du café, des tisanes peut être aussi, ne pas oublier le sucre et les petits chocolats…

    « Vous êtes restés 4X4 ? !! » ...« Mais en ville, le tramway, bien sûr !  Il n’est plus possible de rouler... ».... « Maintenant nous ne prenons que des boites automatiques, c’est un plus écologique et tellement confort ! »

    Sur le mur du salon, une petite route serpente au travers de marais salants. Entre les carrés de ciels, des petits tas de sel blanchissent au soleil.
    Aussi blancs que les cheveux de Madeleine.

     

    Une pointe de piment, deux pincées de sel, trois grains de folie, Madeleine le sait, un jour elle le prendra ce train fantôme.

     

    Madeleine n’espérait plus vraiment que sa vie insipide puisse prendre un tournant.
    Mais ses rêves avaient fini par illuminer son sourire, peu à peu ils modifiaient son allure.
    Sa tête se para de chapeaux extraordinaires que Madeleine associa à des sautoirs de pacotille, des foulards comme des ailes de papillons, des ballerines pour chemins de traverses.

     
    Un matin tout aussi gris qu’un autre, elle se rendit à une conférence sur un train de légende : l’Orient Express.
    L’exposé fut passionnant, les récits et photos la captivaient.


    Madeleine se mit à rêver à voix haute « le frisson d’un voyage, rien qu’une fois.. »
    Elle sursauta, honteuse d’être prise en flagrant délit, en entendant son voisin lui chuchoter à l’oreille : « Point besoin de partir si loin, le frisson est à portée de main ».


    Troublée, Madeleine ne répondit pas, mais regarda son interlocuteur et lui sourit
    L’homme, la soixantaine, visage ordinaire, costume quelconque, taille moyenne arborait une fantasque cravate bariolée aux motifs bleus assortis à ses yeux rieurs.


    La conférence prit fin, ils sortirent ensemble. Madeleine s’enhardit et proposa de boire un café.
    Ponctuée de fous rires, leur discussion passa du coq à l’âne, des « Chats d’Athènes » au  « Chien des Baskerville », de « Vipère au Poing » à « La Ferme des Animaux ».


    Le temps défila,

    Sans oublier de se filer leur numéros - promesse de coup de fil pour reprendre le fil de la conversation, ils filèrent chacun chez soi.


    Depuis ce jour,

    Tous les jeudis,

    Madeleine prend le train de seize heures dix sept.

    Pour quelques heures, il pimente sa vie.
    Cet homme tout ordinaire, dont elle ne connait pas le prénom, elle l’appelle Tabasco.

     

    Ristretto 2010

     

    2010


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